Su nu gal

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SU NU GAL
la pirogue, c’est à nous
23 décembre 2006
Poubelles, poubelles partout dessous, dessus, vie de poubelle. Chiffons, excréments, des enfants jouent sur la plage, à côté d’eux, un champ de viscères en putréfaction, boîtes de conserve, poisson fumé. Tout est si dérangé ici, bout de chiffon, tongs, c’est dingue, on dirait qu’ils abandonnent tous leurs tongs en chemin, trop de godasses en Afrique, je pensais que c’était une plage. Oui, c’est vrai, mais c’est quoi une plage ? A côté de moi, les pêcheurs poussent une pirogue, là.
Ils sont en train de compter les vagues dit un homme derrière moi. Je me suis retournée, j’ai vu le visage de Motcar Fall, un visage émacié, visage pêcheur. Ils chantent, ils chantent pour alléger la pirogue l’homme, devant, chante « Donnez-moi la force et les autres répondent « on te la donne ensemble ». ls chantent la force, me dit-il encore, la force, pour alléger la pirogue. Ça y est, le bateau est à l’eau. Maintenant, ils comptent les vagues, il va passer de l’autre côté.
Tu sais, me dit-il, Sénégal, ça signifie : Su nu gal, la pirogue, c’est à nous ; Catherine s’est approchée, elle a visé la pirogue dans son objectif. La pirogue, c’est à nous. C’est les Français qui ont déformé le mot, c’était pas Se Ne Gal, mais Su nu gal : ils n’ont pas compris quand ils sont arrivés, quand ils ont franchi la barre et qu’ils ont libéré Saint Louis des Anglais, c’était au 17ème siècle. Ils ont cru que c’était à une société les pirogues. Ils n’ont rien compris, ils ont confisqué le pays.
Motcar, m’a-t-il dit, je m’appelle Motcar ; moi, c’est Mathilde, Mathilde, j’ai souri... J’ai regardé les poissons morts sur la plage, Motcar sourit ; lui, il est rescapé, deux fois rescapé. Un mort vivant, je suis un mort vivant. IL y a eu un accident, j’avais plus où j’étais, on était très loin d’ici, au large.
Tu sais, me dit-il, il n’y a plus de poissons ici. C’est à cause des chalutiers asiatiques : tu les vois, là, sur la mer. Ils viennent ici à 17 pour recruter la main d’œuvre. Ici, dans le village, y a 18 mille pêcheurs, 4680 pirogues. Ils viennent signer les contrats, ils payent de l’argent pour pouvoir recruter, ils prennent les pirogues sur le chalutier, ils les descendent dans la mer et ils pêchent trois mois, c’est le contrat. Demain le bateau asiatique ne sera plus là, il sera parti pêcher à l’explosif dans les eaux territoriales en attendant la main d’œuvre. Si on leur demande ce qu’ils ont fait, ils diront qu’ils sont allés chercher des appâts. C’est l’État, c’est l’État qui a vendu la mer. Ça ne vient pas à nous, c’est eux, ils font ce qu’ils veulent Corruption.
Non, IL n’y a pas de dispensaires ici, on ne peut pas soigner les blessures. Pour ça, faut aller à l’hôpital, et ça coûte cher. L’hôpital, c’est pour les fonctionnaires. C’est l’Etat qui leur paye la moitié. Eux, les pêcheurs, ils ne possèdent rien : une maison, 15 m2 à 25 personnes, esprit poisson.
Mathilde Marès ©
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